En l’absence de gains significatifs de pouvoir d’achat, le taux d’épargne français, qui explique en grande partie la croissance anémique projetée en 2023 (+0,6 %) et en 2024 (+0,9 %), ne diminuerait ainsi que très modérément vers 17,8 % en 2023 et 17,6 % en 2024, loin de son niveau moyen de 15 % d’avant-Covid. Cette résistance de l’épargne tient à plusieurs facteurs. Ainsi, la forte hausse du taux d’épargne a principalement été le fait de ménages aisés, dont la propension à consommer est plus réduite que la moyenne et qui sont aujourd’hui vigilants car ils anticipent des hausses potentielles d’impôts, face à la dérive des finances publiques. Par ailleurs, l’inflation toujours forte et souvent supérieure au rendement des actifs financiers, érode leur valeur réelle et incite à épargner pour préserver leur pouvoir d’achat, c’est le phénomène traditionnel d’encaisses réelles.
Le paradoxe du recul des flux financiers
Malgré ce taux d’épargne durablement élevé, les flux de placements financiers devraient afficher un net recul en 2023 par rapport à 2022. En effet, contrairement au Royaume-Uni où ces deux variables sont intimement corrélées, en France, comme dans la plupart des autres pays d’Europe continentale, l’épargne est autant, voire davantage, affectée au financement de l’investissement-logement qu’à des emplois financiers. La disponibilité du crédit permettant de limiter cet autofinancement du logement par l’épargne et de libérer des ressources pour les flux financiers.
Quand le crédit est plus rare et plus cher, la capacité à investir sur des actifs financiers est plus limitée, comme le montre l’exemple de l’Espagne entre 2011 et 2018 où les flux nets de placements ont été négatifs ou négligeables dans un contexte de désendettement où les flux nets de crédits ont été globalement négatifs pendant la décennie 2010. Dans la pratique, la contrainte budgétaire s’exerce sur les ménages par la montée du taux d’apport, la réduction des ventes nettes de propriétaires âgés réinvestissant dans des actifs financiers, la plus forte probabilité de mobiliser une épargne existante pour financer des travaux… Avec une baisse attendue de la production de crédit habitat de l’ordre de 30 % en 2023 et une progression des encours inférieure à 2 % (contre 5 % à 6 % les années passées), la raréfaction du crédit en France devrait fortement contribuer à la réduction des flux financiers en 2023 et 2024.
L’approche des flux financiers retenue par BPCE L’Observatoire consiste à évaluer l’effort net de placement sur des actifs financiers (dépôts à vue, livrets, épargne-logement, comptes à terme, OPC, assurance-vie, titres cotés…) hors capitalisation des intérêts et valorisation boursière. Ces « excédents », solde des versements et remboursements sur chaque support, connaitraient une baisse de près de moitié (45,7 milliards d’euros, contre 82,4 milliards d’euros en 2022) imputable à la stagnation, voire la contraction, du pouvoir d’achat, et surtout au recul de la distribution de crédits.
Hausse des taux et allocation des flux financiers : des arbitrages sur stocks
La baisse des flux financiers irait de pair avec une multiplication des arbitrages entre actifs. En effet, dans un contexte de changement rapide et de grande ampleur des niveaux et de la hiérarchie des rendements d’actifs, ces arbitrages concerneraient non seulement les flux nouveaux mais plus encore des stocks déjà constitués, notamment sur les dépôts à vue, les livrets, l’épargne-logement ou l’assurance-vie.
Interrogés sur leur sensibilité à la hausse des taux, 21 % des Français (essentiellement les plus jeunes et les plus hauts revenus) disent avoir déjà procédé à des arbitrages et 20 % envisagent de le faire dans les six prochains mois en ciblant principalement les dépôts à vue pour leurs retraits et les livrets défiscalisés pour leurs versements.